Céline au milieu de l'Allemagne en flammes. Avec ses compagnons d'infortune, - sa femme Lili, l'acteur Le Vigan, et le chat Bébert -, le voici à Baden-Baden dans un étrange palace où le caviar, la bouillabaisse et le champagne comptent plus que les bombardements, puis dans Berlin en ruines, et enfin à Zornhof dans une immense propriété régie par un fou. Céline se veut chroniqueur ; mais il décrit l’Allemagne de la débâcle comme Dante visitait le cercles de son enfer. D'un côté les grands de ce monde, toujours acharnés à profiter de la vie ; de l'autre, les misérables auxquels on jette un "idéal" comme un os à ronger. Et, sans cesse, "le monde des grecs, le monde tragique, soucis tous les jours et toutes les nuits". C'est une gigantesque tragédie-bouffe, aux dimensions d'un pays qui s'effondre, vécue par celui qui se nomme lui-même «le clochard vieillard dans la merde».
L'avis de Fred : Plus sombre que D'un château l'autre, on ressent bien dans Nord, au début du roman, l'ambiance lourde, grise, froide de Berlin en ruine, anéantie sous les bombes. On a vraiment l'impression, passé 50 pages, de se retrouver dans cette ville, au milieu des décombres, dans une grisaille épaisse où résonnent les sirènes, au milieu des lueurs roses et jaunes que projettent ici et là les flammes ; Berlin, décor où ne tiennent plus que des façades, ou encore quelques rares morceaux d'immeubles ravagés ; où les rues n'existent plus, où l'on ne croise plus que des gens en fuite, ou de pauvres loqueteux, tachant de déblayer un peu et de réunir en tas propres ce qui a été détruit. Et puis plus loin, lorsque Céline, Lili, La Vigue et Bébert arrivent à Zornhof, là on observe vraiment comment fonctionne et vit un petit hameau au milieu duquel sont entretenues les haines vis-à-vis des uns et des autres, entre résistants, prisonniers, réfugiés, collabos, anti ou pro-nazi, anti-français, anti-allemands, russes... la tension est permanente, la suspicion règne, la paranoïa est omniprésente, mène à l'épuisement, à la folie, aux questionnements incessants, aux méfiances... et puis la faim ! C'est à qui mangera le plus et le mieux, qui saura le mieux se débrouiller pour survivre et trouver à manger au milieu des haines et des ressentiments. Ça donne aussi des observations très drôles, notamment lorsque Céline se demande comment certains font, les travailleurs russes en particulier, pour rester bien gras malgré les restrictions alimentaires. Curieusement, il y a aussi des moments de partage, de savoir-vivre, de générosité, une sorte d'ordre et de dignité que les personnages tentent de maintenir alors que la fin est proche et que tout s'écroule, l'homme ne cessant jamais d'espérer, ou de faire comme si de rien n'était, comme si tout allait s'arranger... Nord est vraiment un roman de l'apocalypse, bardé de réflexions puissantes et de visions cauchemardesques. Du Céline tout de même moins fiévreux et à fleur de peau que dans les premières oeuvres. C'est ici le médecin vieux, fatigué, discret et dévoué qui est au premier plan.