Deuxième grand roman de Louis-Ferdinand Céline, Mort à crédit, publié en 1936, raconte l'enfance du Bardamu de Voyage au bout de la nuit, paru quatre ans auparavant. Après un prologue situant son présent, médecin dans les années trente, le héros narrateur, Ferdinand, se rappelle ses jeunes années, dans un milieu petit bourgeois, vers 1900. Il est fils unique, élevé dans un passage parisien entre une grand-mère éducatrice fine et intuitive, une mère sacrificielle propriétaire d'un petit magasin de dentelles et objets de curiosité et un père violent et acariâtre, employé dans une compagnie d'assurances. Il grandit maladroitement, sans cesse victime des reproches amers de ses parents, multiplie les apprentissages et les échecs sentimentaux et professionnels, séjourne dans un collège anglais avant de voir son destin basculer avec la rencontre d'un inventeur loufoque, Léonard de Vinci de la fumisterie scientifique, pour vivre des aventures toujours tragi-comiques...
L'avis de Fred : Dans la lignée de Voyage au bout de la nuit, mais où les horizons sont moins vastes, où la misère, la crasse, les saloperies, le langage, même, sont encore plus crus. Une sorte de crudité bien concentrée, bien épaisse. Comme pour Voyage, Mort à crédit, c'est la vérité de l'existence la plus basse, ce sont les hommes et les femmes dans leurs aspects les plus rebutants tout en parvenant à provoquer de la sympathie. On se dit parfois : "Les pauvres bougres, ils sont pas gâtés par l’existence quand même..." On y croise des personnages hauts en couleur, on se trouve dans des situations impossibles, paroxystiques, comiques à souhait, et en même temps tellement tristes, quand elles ne sont pas profondément sordides... pas de salades avec Céline, pas de happy end, pas de mensonges ("le peuple n'a pas d'idéal, il n'a que des besoins") ça rigolait pas au début du 20e siècle pour les classes moyennes. La vie, c'était la mort à petit feu, la mort à crédit, par petits bouts. Toujours repousser l'échéance, toujours l'endettement, les inquiétudes liées au travail, aux sous, l'épuisement... Lire du Céline c'est comme faire un marathon, une fois qu'on est lancé, si on veut aller jusqu'au bout, il faut être endurant, et être capable de s'enfoncer en soi-même, dans un endroit sûr, pour ne pas décrocher, parce que vraiment, ça fuse à toutes les pages, on en prend plein les yeux ! Ca n'arrête pas, ça grouille de partout ! Il faut avoir du souffle et le coeur bien accroché pour ne pas crouler sous le déluge de mots, et puis attraper le bon rythme pour ne pas trébucher sur le style, et ainsi se laisser porter par lui. Il faut la maîtriser la "petite musique célinienne", et ça demande du courage, des efforts, c'est sûr ! mais quel plaisir quand vous y parvenez ! quand vous saisissez le truc, ça devient alors un régal ! personnellement je prends un pied monstre, comme lorsque je regarde un film dialogué par Audiard... bref, j'ai hâte de poursuivre ma route dans l'univers célinien ! l'appel est très fort. Cela dit, maintenant il faut que je me "rassemble", parce que ce roman m'a vraiment bien éparpillé... faut que je ramasse les morceaux. Lire du Céline ne laisse pas indemne.